Rubis sur l’ongle

La première fois il est venu deux heures, la deuxième trois, et la troisième quatre. J’ai préparé cette séance comme un grand voyage, avec des étapes qui devaient l’emmener du sol à la croix de Saint-André, en passant par la planche-balançoire. J’ai bâché un tapis supplémentaire, préparé mes instruments, déplacé la fucking-machine de l’autre côté de la salle de jeux.
Tout est prêt, sauf moi. Toujours ce quart d’heure, voire cette demi-heure manquante, lorsque j’ai encore 1000 choses à faire et qu’il me faut renoncer à 999. Je l’accueille en longue jupe de mousseline, les jambes nues, en prétendant l’attendre pour qu’il me mette mes bas.
À une époque, ne commençais-je pas ainsi chacune de mes séances ? Si mon sujet parvenait à les fixer d’emblée à mes jarretelles, je corsais la difficulté en ajoutant un bandeau, puis des menottes de pouces.
Cette petite habitude avait été source de beaucoup de rires, une façon comme une autre de briser la glace en montrant à la plupart des hommes qu’ils sont incapables de réussir ce qu’eux, ils escomptent d’une femme.

Mes ongles aussi sont nus, alors que j’aime tant mes petites mains puissantes vernies de rouge. Fort symbole fétichisme, sophistication doublée de l’excitation à regarder mes doigts disparaître à l’intérieur de divers orifices.
Ces ongles nus me chagrinent comme une presque faute de goût. Il me faut y remédier, et surtout en trouver le moyen. Il me vient après l’avoir enchaîné assis, bras et jambes grandes ouvertes sur la planche-balançoire.

Et un et deux et trois, je l’envoie valdinguer à petits coups de pied. Une fois lassée de ce jeu, je pose sur sa cuisse, tout près de son sexe, ma main et un flacon de vernis ouvert. Puis, munie du pinceau, je me vernis les ongles avec application, en lui racontant une histoire érotique.

Ne manque plus qu’une tasse de thé à cette parfaite scène de tranquillité domestique. Sauf que lui, tout attaché qu’il est, me devient absolument inutile.
Poids mort, va.