Ori-peaux

Il arrive hors d’haleine,
– Ah, Maîtresse, je suis heureux de vous rencontrer !
Je le scrute en entomologiste, cet homme si petit que montée sur mes talons je le dépasse d’une large tête, âgé, plein de vie et au style suranné, veste de costume beige et lavallière, à la voix si jeune qu’au téléphone, je lui aurais donné quarante ans à peine,
je songe qu’avant de lui parler j’ai témoigné peu d’enthousiasme à le recevoir en raison de son âge et de son masochisme hard, aucune envie qu’il s’évanouisse – ou pire – dans mon boudoir,
aucune envie, non plus, de me donner l’impression de rosser mon grand-père,
– Je suis très stressé, Madame ! me confie-t-il soudain,
Stressé ? Avant de répondre je décris un lent cercle autour de lui, tac tac tac, font mes escarpins sur le parquet en chêne,
– Ne changez rien, surtout. Le stress est un signe d’adaptation à l’environnement et en l’occurrence, c’est bon signe…
Il rit aussitôt plus détendu, presque apaisé, et quand en séance j’évoque les endorphines, sérotonine, adrénaline, ocytocyne, puis en après-séance les cages de chasteté qui ressemblent à des exosquelettes,
exosquelette,
il tique sur le mot et m’interroge,
– Excusez-moi, mais vous êtes dans la médecine ?
Je nie dans un sourire avant que la conversation ne s’oriente sur Laborit, Eloge de la fuite (« Un de mes maîtres, quelle surprise que quelqu’un de votre génération le connaisse  ! »),
de Hans Bellmer, de ses poupées démembrées et réemmanchées, obscènes, ainsi que de leur probable influence sur Hermann Foersterling,
de Jodorowsky, de ses films, de tarot et de psychomagie,
de Vienne, d’Egon Schiele et de la grippe espagnole,
« Au moins lui ne commettra jamais l’oeuvre de trop »,
Et la conversation roule, spirituelle et fluide, tandis que sous nos habits d’humains policés, si ce n’est cultivés, battent à son flanc l’ovale violet de mes dents et sur son dos, son cul et ses couilles, les zébrures bleues de ma badine.

Photo de Hermann Försterling.