Bien ! (Et ta gueule !)

Avant chacune de nos séances, il me demande un appel caméra. Comme la fois précédente je clique sur « Rejoindre la réunion » et comme la fois précédente il apparaît sur fond de nuit, en blouson-écharpe, dans l’habitacle de sa voiture.
« Homme marié parle à sa Maîtresse », sous-titre ma petite voix intérieure.

La discussion s’enclenche, tout d’abord banale :
– Bonjour Madame, comment allez-vous ?
– Parfaitement bien, et vous-même ?
– Très bien aussi, merci Madame. Voilà, je voulais vous parler d’un de mes nombreux fantasmes, un fantasme dont j’ai honte, un fantasme très sale…
Honte ? Sale ? Je tends l’oreille. Mais au lieu d’évocation de chatte à la pisse, d’empalement sur chibres géants, de gang bang avec poupées en silicone et voyeuses interlopes, c’est une voix robotique féminine qui se met à nasiller à tue-tête :
– BONJOUR JE VAIS BIEN – ET TOI TU AS PASSÉ UNE BONNE JOURNÉE – DITES « JE VAIS BIEN ET QUEL TEMPS FERA-T-IL DEMAIN » ?
Je réprime un immense fou rire alors que mon client, déconcerté, fixe son tableau de bord.
– Pardon, Madame, je… euh… vais désactiver l’assistante de bord…
– BONJOUR BONSOIR JE VAIS BIEN ET TOI TU VAS BIEN ?
Je vois le bras de mon client s’agiter, je suppose qu’il enfonce des boutons au hasard, mais très au hasard car la voix continue crescendo, en mode pilote automatique :
– JE VAIS BIEN ! BIEN !
– Pardon Madame, je ne sais pas comment faire !
– BIEN ! TRÈS BIEN !

Moralité : il est parfois plus facile de prendre trois trains pour traverser deux pays afin de terminer à genoux sur mon parquet que de se débarrasser d’un robot acharné à savoir comment vous allez.

BIEN BIEN TRÈS TRÈS BIEN !

(Et vous ?)