Générosité petite et vilaine

Il m’écrit qu’il m’admire,
que je suis extraordinaire d’autorité et de charisme, une vraie divinité descendue des cieux,
que je suis belle, non, splendide, éblouissante, sublime ou plutôt, me mâchons pas nos mots, sublimissime,

Il m’écrit que lui, vermisseau pâle et tremblant, ne peut rêver mieux que de se présenter à moi, nu, pour se plier à mes caprices,
que de baisser la tête sous mon regard de braise,
que de lécher le sol foulé par mes Louboutin et, soyons fous, mes petits pieds si adorables,
bref, que de se livrer à Moi, Divine Déesse, pieds et poings liés, de me chérir et de m’appartenir corps et âme !

Je le lis détachée, avec en tête une certaine fable de corbeau et de renard. Les clichés de style et le ton ampoulé de cet aspirant soumis ne me disent rien qui vaille. On croirait même, par moments, qu’il s’est obligé à produire une rédaction alambiquée pour répondre à la consigne de sa professeure (sûrement une divinité en escarpins, elle aussi) :
« À chaque substantif (ex, voiture ou Maîtresse), accolez deux adjectifs qualificatifs (ex, puissante et rapide / sublime et cruelle). »
Alors, fantasmeur ? Peut-être, mais surtout piètre écrivain – ce qui importe peu dans le cadre d’une séance. S’il parle comme il écrit, j’ai la solution : un bâillon-boule.


Je lui propose différentes dates de RV. Il invoque en retour l’injustice aride et méchante d’agendas mal accordés, sa déception funeste et terrible à l’idée de ne pas me rencontrer, jamais (il lui suffit pourtant d’attendre, nous finirons bien par trouver une date). Il propose de lui-même de m’envoyer un généreux et spontané chèque-cadeau sur le site E* pour preuve de son amour indéfectible et immense.
J’accepte, bien sûr.

Juste avant de me l’envoyer, voilà qu’il se rend compte, l’âme troublée et frétillante, qu’il peut honorer mon créneau de mardi prochain 17h30.
« D’accord », dis-je en fixant mes bâillons-boules.

Il me précise, attention, que son chèque-cadeau est bien un cadeau et en aucun cas l’acompte pour notre séance, qu’il me versera dans la foulée. Parce que lui n’est pas comme ça, pingre et mesquin, il ne retire pas les cadeaux promis de l’escarcelle des Dominatrices exceptionnelles et adulées.
« Bien bien », dis-je.

Une heure plus tard, je reçois le fameux chèque. J’entre son code sur le site dédié, le valide et lis :
« Erreur, ce chèque a déjà été utilisé. Merci de vérifier son numéro ou de contacter son expéditeur. »
Nouvel essai, résultat identique.
Je contacte donc mon soumis si peu mesquin et calculateur.
Spoiler : il ne m’a jamais répondu.