Son visage s’encadre sur mon écran. Une femme brune, mon âge environ. Elle s’excuse du bruit de la télévision qui s’échappe de la pièce voisine, ses enfants sont finalement à la maison et ils ne doivent pas entendre notre conversation. Elle a sollicité mes services pour s’affirmer en tant que Dominatrice. Elle en a le désir mais pas le mode d’emploi, les idées mais pas l’expérience.
Je lui demande :
– Dominatrice professionnelle ou privée ?
Je sais que dans le premier cas, l’aider me met hors la loi : je suis alors considérée comme une proxénète car j’aide autrui à exercer une forme de TDS (Travail Du Sexe). Ainsi va la législation entre illogisme et hypocrisie, interdisant aux premier-es concerné-es de s’apporter conseils, protection et soutien mutuels.
Je sais aussi que si telle est sa demande, je l’aiderais. Résister, quand on le peut, à un système injuste me semble aussi légitime que nécessaire. Il se trouve que là, je n’aurai pas à désobéir.
– Racontez-moi, dis-je.
Elle me parle de timidité, de difficultés à s’affirmer dans le jeu, de légitimité. Est-elle à la bonne place ? Comment poser son autorité, camoufler ses hésitations, rester dans son rôle, calmer ses craintes de mal faire, éviter les erreurs ?
Je la félicite. Ses questions témoignent d’une attention portée à ses partenaires et d’un souci de ne pas (leur) infliger n’importe quoi. Je lui réponds qu’à mon sens, domination et monde du travail ont beaucoup en commun : là où les femmes s’inquiètent, voire s’excusent de ne pas posséder toutes les compétences requises, bien des hommes foncent sans s’embarrasser de scrupules. Ils ne sont pas meilleurs, non, juste plus confiants (trop, parfois) dans leurs capacités à improviser, assurer et donner le change.
– Fake it until you make it, c’est aussi valable pour les femmes !
Elle me parle de soumis exigeants, qui ne lui parlent que de leurs désirs sans s’intéresser aux siens. Je lui réponds « souminateurs » et ajoute :
– Vous n’êtes pas leur petite main. Eux en ont une, et même deux, pour se branler comme des grands. N’oubliez pas que vous jouez gratuitement, ce qui signifie pour votre plaisir. Si vous devez répondre à un cahier des charges, faites-vous payer !
Elle éclate de rire. Exit les souminateurs.
Elle me parle de soumis a priori motivés qui, après des semaines/journées/nuits d’échanges, se dégonflent le jour J, la ghostent ou la bloquent. Le comble ? Avoir payé de sa poche une chambre d’hôtel pour… se faire poser un lapin !
Je ne suis pas étonnée. Les faux plans, excuses foireuses et autres lâchetés, j’ai moi aussi connu avant de me professionnaliser. Les fantasmeurs, il y en a partout et peut-être même plus en privé qu’en pro : quand c’est gratuit, cela n’a pour certains aucune valeur. Triste mais vrai.
Je lui conseille l’exigence : son jeu, ses règles.
– Aux soumis de vous montrer leur motivation, de chercher un hôtel, de vous apporter un cadeau, de vous envoyer dix messages par jour à chaque heure ronde si vous l’exigez, de se photographier visage masqué avec des plumes de paon et une balayette… Que sais-je encore ! S’il s’agit d’un amant, d’un amoureux, bref, d’une relation, la donne est différente. Mais pour des rencontres de hasard avec des hommes qui vous plaisent à peine et ne respectent ni votre temps, ni votre énergie, soyez exigeante… ou laissez tomber.
Elle acquiesce avec quelque réserve.
– Posons l’équation autrement. Axiome 1 : pour cinq, ou dix, ou cinquante soumis, il y a une seule femme dominante. Cela explique d’ailleurs qu’il y ait un marché… Sans demande forte, pas de dom’ pro. Les statistiques vous placent donc en position de force. En avez-vous conscience ?
– Hum, pas assez.
– Axiome 2 : vous ne demandez aucune contrepartie, ce qui n’est pas commun.
Elle sourit en coin, touchée.
– Conclusion : pour les soumis, vous êtes à la fois une opportunité à saisir et une perle rare. Jetez les premiers, fréquentez les seconds, et ne doutez pas, jamais, de votre valeur. Pourquoi ? Parce que, je répète : vous êtes une perle rare.
– Compris !
Son sourire a éclos, son visage s’est éclairé, son expression est passée de la timidité à l’audace. Mes mots ont fait mouche. J’ai l’impression d’être utile, vraiment utile en disant à cette femme ce que peut-être personne ne lui avait dit auparavant.
Ose, tu es légitime.
Pose tes conditions, tu le mérites.
Ne pas transiger, c’est te respecter.
Ton jeu, tes règles, ta vie, tes besoins, tes décisions.
Après cet appel j’ai augmenté mes tarifs. Charité bien ordonnée commence par soi-même, vrai ?