Il veut me servir de secrétaire particulier mais, hélas, ne cesse de trébucher sur le subjonctif imparfait :
– Madame voulait que je venasse, euh, que je viennisse, pardon… que je venissâs !
– Barbarisme ! Reprenez !
– Ve…
– Vous voulez m’exaspérer ? Je vous l’ai déjà dit, la première syllabe n’est pas « ve »… Si c’est faux la première fois, ce sera tout aussi faux la deuxième ! Utilisez votre cerveau ! dis-je en lui frappant le crâne.
– Vie…
– Non, non et non ! La réponse est « que je VINSSE » ! Allez, le verbe « jouir », maintenant !
– Que je JOUINSSE !
– Ah ça, c’est pas près de vous arriver !
Au bout d’un quart d’heure, d’un commun accord, nous laissons de côté les subtilités de la conjugaison, fût-elle imparfaite, pour passer à un autre exercice : la dictée. Quel texte lui choisir, à lui dont l’orthographe laisse si peu à redire ? L’intérêt du jeu, c’est d’avoir des erreurs à sanctionner et la rectitude de mon soumis du jour le dissuadera sûrement d’en commettre.
Moralité : de prendre ses tâches à la lettre, ça vous prive de cravache.
La solution serait un texte bourré de pièges. La fameuse dictée de Mérimée avec ses « cuissots » et ses « cuisseaux », peut-être ? Mouais. Pour l’érotisme, il faudrait être cannibale. Qui, alors ? Sade ? Sacher-Masoch ? Pierre Louÿs ? Anaïs Nin dont je relis par petits bouts Venus Erotica ? Voilà, Nin, quelle bonne idée… sauf qu’à la faible lumière des bougies, je ne vois rien de rien.
Quitte à ce que quelqu’un se crève les yeux, autant que ce soit lui.
J’ordonne en lui jetant le livre :
– Lisez !
Il l’ouvre au hasard. Je m’assois face à lui, jambes croisées. Il se racle la gorge. Je braque la chambrière sur son téton. Il commence d’une voix forte :
– Marianne. Je me présenterai comme la « madame » d’une maison de prostitution littéraire…
– Sérieusement ? C’est le début du texte ?
– Oui, Madame.
– Ah, ah, c’est prédestiné ! Continuez !
– … la « madame » de ce broupe d’éprivains…
– Pardon ?
La chambrière voltige, menaçante, sous son nez.
– … de ce broude d’étrivains…
Dziiim, j’abats la chambrière sur son flanc. Il piaule, baisse le nez et reprends, docile :
– … de ce groute d’écripains…
Dziiim, Dziiim !
– … de ce BROUTE D’ÉPRIPAINS…
Dziiim, dziiim, dziiiim !
– … de ce BROUTIPAIN !
DZZZIIIIIIIIMMM !
Moralité : la littérature, ça fait des bleus. Et pas qu’à l’âme.