Il est un gros consommateur de Dominas. Il me rend visite une fois par mois voire plus, sur un scénario toujours identique : se transformer en « petite salope soumise », ce qui signifie être féminisé pour se prendre le plus de bites possibles.
Il ne veut pas autre chose, pas de fétichisme, d’électricité, de chatouilles, de flagellations intenses, juste ça : être attaché fermement, les yeux bandés, se faire pincer les tétons, pénétrer et traiter de « salope-chienne » pendant que je lui susurre des histoires à l’oreille.
Dans ces histoires il y a des mots-clés « bite, fou*tre, cu*l, jus, trou, défoncer, remplir », des regards perdus (les siens), des rires (les miens), des dialogues automatiques « Vous croyez ? » / « Oui je suis sûre ! » et un final convenu, sa jouissance.
Dans l’une d’elles il – ou plutôt « elle » – est l’objet de convoitise d’une meute en rut,
dans une autre une damoiselle qu’on fait tourner dans une cave,
dans une troisième une prisonnière façon Histoire d’O, en butte aux pires fantaisies de ses tortionnaires,
dans une quatrième une über-soumise star d’un bukkake,
dans toutes un garage à bites, un parking à phallus, une viande à sperme /insérer ici toute autre image poétique/.
Quelques aménagements, peu, sont possibles : lui mettre un bâillon, lui donner (gentiment) du martinet, lui pisser dessus (variante, dedans). Pour la salive, il aime la sentir couler sur sa peau mais pas qu’on lui crache dessus (ni dedans, sans doute, mais pour lubrifier un gode, ça va).
Dans son scénario il-elle est sans défense, exhibé-e, contraint-e, baisé-e.
Dans son scénario je suis une femme habillée sexy, mais une femme à bites. Je suppose qu’il préfèrerait que je ne sois pas là mais comme il n’assumerait pas, il triangule. De Maîtresse d’oeuvres je deviens son alibi : c’est moi qui exige qu’il soit pris, pas lui qui le veut ; moi qui le « force », pas lui qui me paye. D’ailleurs, si un « vrai » homme venait à être là, il ne voudrait pas le voir, ni en être vu.
L’équation de sa libido est à multiples inconnus, genre masculin, couleur de peau, noire. Cet élément, poncif venu des pornos qu’il visionne régulièrement, est essentiel. Comme la majorité des clients – et des gens -, il n’a pas conscience des enjeux de son obsession, de ce qu’il révèle des rapports de domination entre individus ni de la fétichisation de certains corps. Fantasme colonial ? Il est probable qu’il s’en fiche. Ce qui compte, c’est l’excitation, l’ici et maintenant de son rêve de salope.
Moi, au-delà de mon imagination qui parfois se tarit et de mon agacement qui parfois pointe, je me demande : mais que lui-il donc arrivé, à cet homme, pour que mois après mois, année après année, il rejoue encore et encore la même histoire d’abus ?
Photo Robert Mapplethorpe.