Moi, j’m’en balance

Il est venu pour une séance de deux heures. Il a la trentaine, une élocution parfaite, de grands yeux noirs, une barbe si parfaitement taillée à ras qu’on la dirait peinte, et aucune réaction alors que je l’encule. C’est à peine s’il respire plus vite ou ferme les yeux pendant que je me démène. J’ignore s’il a du plaisir, n’en a pas, si je lui fais mal ou s’il s’ennuie.
Perturbant.

Il ne bande pas. Il me regarde. Il se tait. Il sourit.
Perturbant, bis.
Je continue comme si de rien n’était en me demandant bien ce qu’il en est.

Il nous reste une demi-heure de séance. Cette dernière partie, c’est censée être le « grand final », le bouquet du feu d’artifice, l’explosion de la fusée que j’ai mis des heures à assembler, bloc après bloc. Je sens qu’avec lui cette fusée-là va se crasher misérablement.
Je réfléchis. Comment inverser le cours d’une séance ratée ?
Je décide de le mettre sur ma balançoire dédiée au sexe (sling) et de l’y attacher. Il place ses jambes dans les étriers de tissu, me tend obligeamment ses poignets pour que je les emprisonne, lève ses bras à la bonne hauteur pendant que je tire une corde pour les maintenir en l’air.

Le voilà qui lévite dans mon salon, nu comme un ver sanglé à bloc, jambes grandes ouvertes, séant lubrifié, sexe exposé. Son petit cul est tout étroit. Moi, j’avoue, j’ai perdu la foi. Et c’est ainsi qu’on s’est mis à parler, moi assise en guêpière-jarretelles sur ma chaise de reine et lui bercé par ma sling,
privilèges, féminisme, biais d’autorité, exil et BDSM.
À quelques moments choisis je lui décochais un coup de pied en impulsion,
valdingue, valdingue la balançoire et son chargement d’homme.

Verdict : sur l’échelle du BDSM cette séance était nulle.
Sur l’échelle conversationnelle, intéressante.
Sur l’échelle du bizarre, fantastique.