Je portais de longues bottes blanches en cuir souple, un ravissement pour la vue et le toucher. Pour marcher, c’est autre chose car entre leurs fins talons hauts et leur manque de maintien aux chevilles, je craignais toujours le faux pas qui me précipiterait, grande Maîtresse en dégringolade, tête la première sur mon parquet.
Mon visiteur du jour devait tout en ignorer : il venait pour l’adoration fétichiste, pas pour les détails des coulisses. Puis, pensais-je, je resterais surtout immobile, à trôner sur mon fauteuil.
Sur mon fauteuil d’impératrice, donc, je décide d’enlever ma botte gauche. Ma jambe gainée d’un bas nylon se dévoile. Mon visiteur l’embrasse, centimètre par centimètre, du genou aux talons. Je cambre le pied, il honore mes orteils.
Le même jeu se répète de l’autre côté. Lorsque mon pied apparaît, je le regarde, perplexe, fronce les sourcils, compare, me rend à l’évidence : à droite mon bas, couture, a un talon cubain* ; à gauche, rien, ni talon ni couture. J’ai envie de rire. Mener une séance avec des bas dépareillés, qui plus est avec un fétichiste, une première !
Me voici en plein dilemme : vaut-il mieux me taire en affichant une souveraineté tranquille ?
En plaisanter avec mon visiteur toujours à genoux, occupé à me mignoter les mollets ?
Feindre que cette fausse note est un jeu volontaire qui vise à, peut-être, le prendre en défaut : a-t-il seulement remarqué la différence ?
Réflexion faite, j’opte pour la première solution. D’expérience, peu d’hommes – même fétichistes, oui – ont le sens du détail. Je me souviens ainsi de cette séance où, après avoir débandé les yeux d’un soumis pour qu’il admire ma belle assistante aux pieds nus, je lui avais ordonné, une fois le bandeau remis en place :
– Décrivez-la moi !
Sa première réponse ?
– Elle porte des bottes.
À la fin de notre rendez-vous, devant un verre, il m’a parlé de sa vie professionnelle. Et figurez-vous, attention qu’il vend…
… des bas !
La grande chanceuse du jour, c’est qui ? Maîtresse !
*Renfort qui monte à l’arrière de la cheville, duquel part la couture.