Il est venu une fois par mois pendant une petite année.
Il faisait un métier peu commun, qui apparaissait en signature de ses mails envoyés depuis sa boîte professionnelle, voire personnelle.
Il signait toujours « Votre gabriel », comme s’il m’appartenait.
Il aimait être poussé dans ses retranchements et ressortir chancelant de mes griffes.
Un jour il est venu avec un plug et l’a oublié dans la salle de jeux. J’ai pensé qu’il le reprendrait le mois suivant, sauf qu’il n’est pas revenu.
Une petite année plus tard il se manifeste à nouveau en signant, comme d’habitude, « Votre gabriel ». Comme d’habitude je le reçois sans demander aucune explication.
La séance tire à sa presque fin. Je suis assise sur mon fauteuil, « mon gabriel » à genoux sur le tapis. Il a le fondement investi par son plug, gros par besoin le sentir mais pas trop de crainte de ne pouvoir le retirer, le dos et les fesses rougis à coups de martinet, forts car il est maso mais pas trop car il ne veut pas de marques.
Je lui ordonne de se branler. Il s’exécute en silence.
Au bout de cinq minutes la séance et sa bite mollissent un peu. Moi qui rêvais de finir en apothéose sur des cris, des suppliques et une éjaculation homérique, je sens la déception se profiler.
Gabriel doit la sentir aussi. Il me regarde comme s’il quêtait un ordre ou m’enjoignait de faire quelque chose. Lui cracher dessus, lui donner des gifles ou du fouet, lui tirer les oreilles ? Je l’ignore.
Je ne fais rien.
Les organes de Gabriel semblent avoir conclu une alliance secrète : à mesure que sa bite mollit ses yeux se font plus suppliants. En retour mon cerveau ne produit rien, hormis un constat : cette séance va s’achever en queue de boudin.
C’est alors que Gabriel prend la situation en main ou plutôt en bouche pour lancer, tout à trac :
– Madame, je vous ai menti !
Je lève un sourcil éberlué. Mais de quoi parle-t-il ? Gabriel répète, un ton au-dessus :
– Je vous ai menti, Madame !
J’hésite entre « Ah… Ah bon ? », « Oh, le vilain ! » et rien. Je choisis rien, et n’ai même pas le temps de me raviser que Gabriel recommence à bander et à crier :
– Je suis un menteur, Madame ! Un infidèle ! Un goujat ! Un traître !
En accord avec mon expérience, mon cerveau m’avertit que c’est à la fois une occasion à saisir et une injonction dissimulée : mon « soumis » veut que je le passe à la question, excellent prétexte pour ne surtout rien faire.
Dont acte. En apparence détachée mais intérieurement hilare, je me contente d’écouter Gabriel hurler :
– Je vous ai trompée, Madame ! Je suis allée voir une autre Domina ! Pardon ! Elle était belle et très méchante ! Elle m’a puni ! Je suis un traître, Madame ! Pardon !
Et Gabriel de bander comme un taureau.
Je claque de la langue, hoche le menton et me borne à regarder, depuis les premières loges de mon fauteuil, la fin de la pièce s’accomplir : un tonitruant « Traaaaaaaîtreeeeee ! » expectoré dans une giclée de foutre.
Apothéose sans coup de théâtre.
Photo de René Maltête.