Dans mes rapports sociaux, je déteste l’humiliation et je la fuis.
Dans mes rapports BDSM privés, je la pratique peu tant son érotisation m’est étrangère. Je n’éprouve aucun plaisir à humilier un homme qui me plaît, j’ai de l’embarras à humilier une femme et une franche répulsion à humilier une amie-amante.
En tant que Domina tarifée, en revanche, j’humilie. Très durement parfois, quoique cette dureté me demande un effort. Et je me suis aperçue que plus mon client est jeune et plus il me plaît, plus m’est difficile de l’humilier.
La pire configuration étant un client jeune qui me plaît. En théorie car jusqu’à présent…
Sa voix au bout du fil est agréable. Il s’exprime avec respect, à mots choisis. Il dit avoir 28 ans et s’appeler Vladimir. Je manque d’évoquer Nabokov, Ada ou l’ardeur, je me tais. Je reste dans mon rôle. Distante. Précise. Professionnelle.
– Écrivez-moi un mail et je vous enverrai un questionnaire à remplir.
À ce stade la majorité de mes clients potentiels s’évapore. Ce n’est pas m’écrire qu’ils veulent, c’est me parler – souvent juste pour s’exciter à me décrire leurs fantasmes – ou me rencontrer le plus vite possible, avant que la peur et la honte ne s’en mêlent, que leur désir ne retombe, que leur pulsion ne leur semble condamnable et que,
courage, fuyons !
ils ne changent d’avis.
Mais non, Vladimir m’écrit. Sous un autre nom, Louis, ce qui dans un premier temps m’égare. Cette fois il affirme avoir 30 ans. Je souris de ce subterfuge de deux années ajoutées pour ne pas se faire retoquer, nombre de TDS* exigeant des clients de 35 ans et plus.
Louis veut de l’humiliation. « Très dure, » précise-t-il.
J’objecte :
– Votre « dur » à vous n’est pas forcément mon « dur » à moi. On surmonte aisément une frustration due à un pas assez mais pas un traumatisme dû à un trop, et je n’ai aucune envie que vous repartiez en miettes de mon boudoir. Néanmoins, sur une échelle de 1 à 10, 10 étant l’humiliation maximale, à combien estimeriez-vous votre recherche ?
– 10, Maîtresse.
J’ai pensé que Louis n’avait aucune, mais aucune de putain d’idée de ce qu’il demandait.
Le jour de notre rendez-vous quand, chargée à bloc, je lui ai ouvert ma porte, j’ai découvert que Louis était jeune, très,
et beau, très,
des cheveux blond noble, épais et ondulés, gominés pour dégager un visage racé de lord anglais, le petit Lord Fauntleroy égaré chez moi,
de longs yeux en amande glacier avec des cils qui papillotent,
une bouche à mordre et à lécher,
un menton aigu qui lui donne une morgue piquante pour un soumis,
exactement le genre d’hommes que, dans la vie dite normale, je choisirais pour amant, soumis ou partenaire en songeant que peut-être, c’est moi qui ne correspondrais pas à ses attentes à lui,
un eye candy que je contemplerais dans le métro pour mon shoot de beauté quotidien,
que je côtoierais avec désir dans des actions courantes, faire la queue au supermarché, tirer de l’argent au distributeur, lire un livre à la terrasse d’un café,
dont la vie sexuelle attiserait ma curiosité, qu’il soit consultant, vendeur ou professeur d’université,
mais que là, c’est lui qui me paye pour que j’accepte de le recevoir.
Louis baisse les yeux devant les miens. À le voir ainsi sur mon seuil, timide et tremblant, ému, si joli, vulnérable et déjà offert, je pense que je crève d’envie
de l’attacher serré et de jouer avec sa bite,
de lui mettre des doigts partout et de le mordre,
de l’embrasser alors que je l’encule,
de cracher sur sa bouche et de la laper,
de pisser sur son visage pour en froisser la beauté, puis de la défroisser de gifles et de baisers,
de l’utiliser selon mes règles à moi, selon mon bon plaisir,
mais de l’humilier très fort alors même que c’est notre contrat, ah non, sûrement pas.
« Conclusion : t’es dans la merde, ma fille. »
*TDS : travailleur.ses du sexe.
Absolument magique Madame.
Ce texte représente quelque chose de très particulier pour moi.
Merci encore
Alors vous pouvez lire Ada ou l’ardeur. Sourire.