Pipi, Papillon !

Il ne m’a pas donné son nom, juste un pseudo où il est question de géométrie.
Il est face à moi, nerveux. Je lui rappelle mon safeword, mets en avant l’importance d’une communication claire en séance. Il approuve.
Alors que je le guide vers la salle de bains, il demande :
– Où sont les toilettes, Maîtresse ?
Je le regarde d’un air si ravi qu’il se raidit aussitôt. Peut-être maudit-il à cette seconde sa vessie trop pleine ou l’opportunité manquée de se soulager dans un café du coin. Je lui décoche un sourire de chat qui ne le rassure guère.
– Ici la règle est de ne pas utiliser les toilettes mais de faire pipi devant Madame.
Il me regarde, circonspect : plaisanterais-je ?
Non, conclut-t-il alors que je le pousse vers la baignoire.

Tout nu, debout, sexe ballottant, il ferme les yeux pour se concentrer. Peine perdue, je ne cesse de lui parler : de sa position humiliante, de son exhibition impudique, de mictions qui n’arrivent jamais au bon moment, de l’inconfort à garder une vessie trop pleine – surtout quand une femme vous appuie dessus -, de la chanson du pipi en ouvrant le robinet pour qu’il entende l’eau couler.
– Ça aide, paraît-il.
Je ris aussi, beaucoup, d’autant que plus je le somme d’obéir, plus il échoue.
Je prétends qu’il est très contrariant, presque rebelle, et cette vessie décidément trop timide mérite de terribles châtiments.
Je lui fais lever le bras gauche pour avoir une meilleure vue sur son sexe, le tripote pour le faire durcir et l’acculer davantage à l’échec.

Enfin, un mince filet coule de son gland. Je m’apprête à le féliciter mais zut, j’ignore son nom :
– Au fait, comment dois-je vous appeler ?
Il réfléchit – ce qui a pour effet de stopper sa miction.
– Euh… Papillon ?
– Papillon ? Comme le forçat qui s’est évadé du bagne* ?
– Ah, vous le connaissez ! Je pensais justement à lui…
– Vous voulez me fausser compagnie ? Vous n’êtes pas bien avec moi ?
– Si, si, mais…
– Chut ! Remarquez, comme il s’est évadé à la nage, nous avons là un fil rouge, dis-je en lui pressant la verge. Allez, Papillon, reprenez ! Les petits ruisseaux font les grandes rivières !


Plus tard dans l’après-midi, je donnais ma deuxième séance. Au moment où, agenouillé sur le sol, mon client a courbé l’échine sous mon joug, j’ai vu, déployé dans son dos, un immense papillon tatoué. Je lui ai lancé un clin d’oeil en songeant à tous ces petits hasards merveilleux d’une existence. Domina ou pas.

*Henri Charrière, auteur de Papillon (1969).