Kubrick sur l’occiput(e)

Il se dit « hédoniste » et « épicurien », sans savoir que ces mots me font grincer des dents.
Notre séance, il l’imagine « emplie de vice et de luxure, perverse, sulfureuse, décadente, dans la veine, m’écrit-il, de Eyes wide shut de Kubrick », à mes yeux une des références-phares du monde d’avant et de son érotisme convenu, orgies entre beautiful people sur fond de château et de chandelles.
L’attendu du descriptif m’évoque aussitôt ces profils de sites de rencontres qui se veulent classieux pour mieux alpaguer de la soumise à maltraiter : des hommes en costume, sans visage, s’auto-proclamant « gentleman », des gentlemen aux poings serrés et à la pose virile. Je me demande si des femmes se laissent encore prendre à cette triste grammaire du cul, où les fantasmes d’abus (et pas que les fantasmes, hélas) se parent de gracieux euphémismes.

La deuxième référence artistique de mon futur client est David Hamilton, ses jeunes beautés fragiles et dénudées dans un « flou si troublant, qui donne tant à supposer ».
Sait-il seulement que le photographe est un violeur pédophile ? Si je le lui fais remarquer, il m’objectera sûrement la nécessité de séparer l’homme de l’oeuvre et revendiquera son droit à me parler des images qui excitent à son imaginaire – droit que je lui accorde, même si nos imaginaires ne sont pas réglés sur la même fréquence.
Je me dis que bon, on ne refuse pas quelqu’un sur ses goûts trop datés.

J’aurais peut-être dû.

Lors de notre séance, alors que je l’embroche à même le sol, mon client se retourne vers moi et me lance :
– J’imagine que je suis en train de te faire la même chose !
Pardon ? J’ai failli lui coller un Kubrick sur l’occiput est un Hamilton au menton.

J’aurais peut-être dû.